- UNKEI
- UNKEIÀ la fin du XIIe siècle, le pouvoir des Fujiwara s’affaiblissant, le Japon connaît d’importants bouleversements sociaux qui se terminent par la victoire de Minamoto Yoritomo (1185) et la fondation d’un gouvernement militaire, le bakufu , à Kamakura.Si, au début de cette période de Kamakura (1185-1333), Ky 拏to reste le centre culturel raffiné qu’elle avait été sous les Fujiwara, peu à peu, un art nouveau et réaliste se fait jour. Dans le domaine de la sculpture, à la beauté éthérée et idéalisée des visages pleins de grâce de l’époque précédente succèdent une vigueur et un naturalisme caractéristiques d’une classe sociale différente, à l’esprit pratique: celle des guerriers.Là n’est pas la seule raison de ces tendances nouvelles. En effet, parallèlement à une renaissance d’anciennes sectes bouddhiques, on assiste à une floraison d’autres sectes qui, ne trouvant plus appui auprès d’une aristocratie déchue, se tournent vers des classes populaires peu cultivées et s’adressent à elles dans un langage simple et concret, par l’intermédiaire d’images susceptibles de les émouvoir et donc proches de leur réalité quotidienne.Dans cet esprit, Yoritomo, soucieux de restaurer les grands sanctuaires de Nara dévastés par les guerres civiles, fait appel à des sculpteurs, qui sont ainsi amenés à prendre contact et à se familiariser avec les chefs-d’œuvre imprégnés de réalisme du VIIIe siècle. Ce faisant, ces artistes se trouvent intellectuellement mûrs pour accueillir et assimiler une nouvelle vague d’influences venue du continent chinois, dès lors que reprennent, dans la seconde moitié du XIIe siècle, les relations avec l’empire des Song, après plus de trois siècles d’interruption.Bien des facteurs semblent donc se conjuguer, à l’aube du XIIIe siècle, pour permettre à la sculpture japonaise de s’épanouir une fois encore, avant de tomber, à partir des XIVe-XVe siècles, dans la redite et la virtuosité. Ce départ nouveau trouve sa meilleure expression dans l’art d’un maître de génie: Unkei.Une carrière officielleMalgré sa renommée, on sait peu de chose sur la vie d’Unkei. Né à Ky 拏to, il serait le fils du sculpteur Kobei, lui-même descendant à la cinquième génération, du célèbre J 拏ch 拏 († 1057). Ce dernier avait fondé l’école de la Septième rue (Shichi-j 拏 bussho), qui n’avait cessé de fonctionner depuis lors. Unkei, succédant à son père et entouré de collaborateurs d’aussi grande valeur que Kaikei, autre disciple de Kobei, va redonner à l’école tout son éclat.Artiste précoce, sa première œuvre authentique, une Senju Kannon pour le Rengy 拏-in de Ky 拏to, date de 1164, alors qu’il n’a que quinze ou seize ans. Vers 1190, le sh 拏gun Yoritomo le charge de la restauration de nombreux temples de Nara, dont le T 拏dai-ji; il y étudie les œuvres du passé et, bientôt, pourra combiner l’ancien style de Nara avec le réalisme de son époque. Ces travaux, qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1223, lui valent les titres les plus honorifiques de la hiérarchie bouddhique et les promotions jalonnent sa carrière officielle: vers 1193, il devient hokky 拏 (pont de la Loi), puis, en 1195, h 拏gen (œil de la Loi), et enfin, en 1203, lors de la grande cérémonie de consécration du T 拏dai-ji, il accède au plus haut de ces titres, celui de h 拏in (sceau de la Loi).On peut distinguer deux grandes périodes dans l’évolution de son style: la jeunesse, époque de formation sous la férule de son père, et la maturité dont relèvent ses chefs-d’œuvre.Les œuvres de jeunesseExécutées sous la direction de Kobei, bon sculpteur dans le style traditionnel des Fujiwara, les premières œuvres d’Unkei ne sont pas encore celles d’un esprit novateur, comme en témoigne le Dainichi Nyorai à l’Enj 拏-ji de Nara. Cette statue, datée de 1176, garde bien des traits de la fin de la période précédente: genoux écartés, jambes minces, composition triangulaire. Toutefois, ces éléments classiques sont infléchis dans le sens des recherches nouvelles de l’époque Kamakura: les bras s’écartent en un mouvement plus souple, le visage avec ses yeux de cristal encastrés est plus animé, la tête, plus grande, porte une haute coiffure dans le style des Song. Mais cette sculpture, comme d’autres qui lui sont contemporaines, reste plutôt le fruit de la technique parfaite d’un homme de talent que celui d’un artiste très original.Les œuvres de l’âge mûrC’est aux œuvres de sa maturité qu’Unkei doit sa renommée. Citons parmi elles les deux gardiens géants de la grande porte sud du T 拏dai-ji de Nara, exécutés en 1203, avec la collaboration de Kaikei et de seize assistants.Ces personnages colossaux (environ huit mètres de haut) sont remarquables par leur position dynamique et bien équilibrée. Leur expression menaçante, leur fort hanchement, leurs gestes brusques et violents, leurs muscles tendus et leurs vêtements tourmentés leur confèrent un air de virilité majestueuse et réalisent un nouvel expressionnisme, que n’altère pas l’usure apportée par des siècles d’exposition en plein air.Les blocs de bois juxtaposés, dont les jointures sont actuellement desserrées, offrent un exemple parfait de la technique d’Unkei. On lui doit en effet d’avoir perfectionné la méthode par pièces assemblées (yosegi ), à laquelle reste lié le nom de J 拏ch 拏. Ce facteur sera déterminant pour l’épanouissement d’un nouveau réalisme dans le portrait, car l’artiste, moins entravé par les limites que lui impose la matière qu’il travaille, va se trouver plus libre et plus apte à traduire dans le bois la réalité qu’il appréhende. De plus, les yeux de cristal, encastrés dans les orbites creuses, selon une technique neuve elle aussi, accentuent encore l’allure réaliste et terrifiante des personnages.Ces deux gardiens et d’autres œuvres de la même période, comme le Miroku et les portraits de Seshin et Muchaku au K 拏fuku-ji de Nara, jusqu’au Jiz 拏 Bosatsu de 1218 au Rokuharamitsu-ji de Ky 拏to, dernière pièce datée qui nous soit parvenue, témoignent de tout ce que le style de Kamakura doit à la personnalité d’Unkei, tant pour sa qualité spirituelle que pour ses innovations pratiques.Malheureusement, si Unkei s’avère le créateur de génie qui fait le renom de son époque, ses élèves au nombre desquels ses fils, Tankei, K 拏ben et K 拏sh 拏, perdront vite sa belle vigueur. Multipliant les images de propagande, ils recherchent le détail pittoresque propre à frapper l’imagination des foules, afin de populariser un bouddhisme dont l’aristocratie ne peut plus assurer la subsistance. En outre, le bouddhisme Zen, dont l’influence va grandissant, est peu favorable aux représentations de divinités. Le lavis à l’encre de Chine prendra bientôt la place de la sculpture, qui ne sera plus pratiquée que par des artisans.
Encyclopédie Universelle. 2012.